L’épopée sauvage s’enracine : David Toutain mérite amplement ses 2* !
Il y a tout juste un an, nous découvrions la transcendante cuisine de David Toutain (Paris 7ème). Ce discret passionné, dont l’adresse se partage comme un secret bien gardé, nous avait ensorcelé avec sa cuisine profondément moderne, juste et naturelle. Un style épuré et sauvagement jouissif qui nous émerveille régulièrement à l’étranger (Scandinavie, Bénélux, Amérique du nord, Asie), mais que nous ne retrouvons que trop rarement en France.
Une deuxième étoile plus tard (aisément anticipée dans notre premier article) et quelques années après quelques changements : un nouveau directeur de salle, un écrin très légèrement revu (tables, aménagement de l’espace), mais heureusement toujours les mêmes traceurs.
Ce deuxième chapitre Toutain s’ouvre dans l’effervescence de fines bulles rosées, grand cru extra-brut du Domaine Pierre Paillard. Les papilles réveillées, nous refaisons connaissance avec un classique du chef : salsifis, crème d’épeautre et épeautre soufflé. Les deux pieds dans l’automne, cet amuse nous immerge d’emblée dans l’univers du produit et l’évidence du respect des saisons. Une petite assiette par la taille mais grande pour les valeurs qu’elle porte et les saveurs si enivrantes qu’elle dévoile.
Dans la foulée, une petite bombe de plaisir avec ces mini-ravioles de betterave, purée de betterave, noisette et pickles d’oignon. Croquant, fondant, acide, sucré : une bouchée qui a du toupet !
Saison automnale sublimée, les pieds dans l’eau
Un peu plus loin dans cette promenade forestière, coup de foudre pour ce « simple » enchevêtrement de céleri rave, foin, truffe et brisures de noisettes. Des notes terreuses et moutardées, sobres et délicates : une incarnation de ce que la haute cuisine gastronomique devrait incarner, à nos yeux, en 2020. Dans le verre, tous les accords sont justes, y compris cet étonnant vin de l’Etna d’un espagnol installé en Sicile : minéral, vif et vivant (Edouardo Torres Acosta, Versante Nord, 2017)
Entre deux ballades, nous faisons une pause autour du rituel pain-beurre en version toutain : une boule de beurre aux légumes anciens, unique, belle et terreuse… A faire fondre délicatement sur les brioches servies tièdes. Un moment de plaisir régressif révélant des souvenirs d’enfance.
Notre chemin débouche en bord de mer avec ces Saint-Jacques, bouillon dashi, chou-asperge (découverte), oxalis. Fusionnel, raffiné, délicat.
Sur le côté, une focaccia au sapin nous rappelle notre sortie des bois. Dans le verre, l’accord est toujours aussi juste avec ce Tressallier de Saint Pourçain, Domaine des Bérioles.
On reste entre terre et mer avec ce généreux Cèpe, Lotte, Crème de noix à la moutarde et son crumble croquant. Puissant et raffiné, et une St-Jacques nacrée, cuite à merveille comme sait si bien les travailler le chef (elle nous avait déjà bien marqué lors de notre première visit).
Mais le climax de cette session terre-mer tient peut-être dans cette fascinante trilogie en trois petites assiettes autour du homard avec notamment ces pinces de homard laquées au soja sur sticks de sapin et ce consommé de homard tel une bisque ; portée par un Saint-Aubin 2016.
Fin de promenade avec l’anguille fumée, crème de sésame noir et pomme granny smith signature de l’adresse : avec ses notes de bacon et la profondeur du sésame, on ne pourra pas aller plus loin en matière de puissance : de la dynamite en bouche ! Ce chapitre terre-mer « crescendo », d’une rare cohérence et d’une délicatesse totale qui vient à lui-seul aisément confirmer les 2*.
Desserts déroutants
Le chapitre sucré aura été cette fois-ci un cran en dessous bien que on apprécie l’effort de rester dans la saison sans importation et de s’émarger de la sucrosité. L’assiette sera joliment accompagnée d’un cidre d’une grande fraîcheur venant équilibrer l’accord. (Malus Mama, 2011)
Un premier dessert autour du marron nous a emballé : travaillé en crème, en chips et en glace, il est plein de gourmandise et conserve de la fraicheur grâce à quelques détails végétaux.
Le reste, notamment les sorbets, manquent ce jour-là de franchise et d’aboutissement pour être vraiment convaincants.
Pour conclure :
Nous maintenons largement notre analyse initiale : si la gastronomie sauvage était un art, David Toutain en serait le Maître. Il est impressionnant de constater à quel point son style de cuisine tend (enfin) à se démocratiser en France jusqu’aux plus hautes sphères gastronomiques. Heureusement David Toutain reste instigateur de cette sensibilité en France, et propose une expérience immersive, proche de la nature avec des associations audacieuses, l’absence d’artifices et le respect total du produit.
Toutain a su créer un univers raisonné, avant-gardiste et abouti, d’une cohérence totale, dans lequel sa personnalité et son style s’expriment à chaque proposition. Malgré nos quelques réserves sur les desserts ce jour-ci, les traits d’un grand artiste de la cuisine sont réunis. Ses deux étoiles seront à consolider l’année prochaine, nous pourrions espérer en parallèle voir le chef se développer vers de nouveaux projets moins gastronomiques pour rendre cette fascinante cuisine de la nature accessible au plus grand nombre…
P.S. David Toutain vient de publier un magnifique livre entre livre de cuisine et reportage naturel. Un beau cadeau à mettre sous le sapin !
Adresse : 29 Rue Surcouf, 75007 Paris
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