Rives du lac Léman, à Lausanne : Les cimes des arbres, chargés de chaleureuse couleurs automnales, dansent au grès d’une douce brise. Derrière, de majestueuses montagnes s’étendent jusqu’à l’horizon. Là, posé comme dans une carte postale, le Beau-Rivage Palace, l’un des plus beaux palaces d’Europe, construit en 1861, a fière allure. C’est dans ce cadre bucolique et idyllique qu’Anne-Sophie Pic a élu son second domicile, en 2009, il y a près de 10 ans. Deux étoiles Michelin plus tard (même si ce n’est pas ce qui importe), la maturité du lieu, l’expérience de sa cuisine et la sérénité du service sont palpables.
Une ouverture de bal royaliste
Pour ouvrir le bal de 3h qui passeront à la vitesse d’un soupir, un trio d’amuses et un chariot royaliste d’apéritifs : Une bulle de fraîcheur au citron vert, de fines feuilles végétales concentrées au potiron-betteraves et un dôme champignon, pour accompagner des bulles de la Maison Billecart Salmon et Laurent Perrier Grand Siècle.
Une subtile entrée en matière, qui permet de s’immerger sans attendre dans l’univers végétal et raffiné de la cheffe.
Les assiettes disparaissent comme par magie, grâce à un service efficace, discret mais très attentif, permettant d’ouvrir le rituel Pain-Beurre : il est ici sublimé et porté au plus haut par une déclinaison de pains au café, à la bière, au thé vert matcha, nature, qui viendront accompagnés d’un beurre fondant fève de Tonka, poivre de Madagascar.
L’accord avec pain au café est fabuleux, les notes torréfiées, rehaussées par les notes fruitées du poivre. Nous avions déjà été bouche bées chez Hof Van Cleve, ayant réalisé un travail poussé d’accords pain et mets, mais la cheffe pousse encore plus loin l’exercice.
Des plats signatures enchanteurs
Challenge d’un déjeuner en accord avec des vins locaux, lancé au sommelier, les berlingots, signature “Pic”, déclinés en fonction des établissements au fromage local, font leur entrée : ils seront à Lausanne constitués d’un cœur coulant comme une fondue, d’un consommé cristallin aux champignons, infusé dans dans un « Pu’Erh » thé millésimé, et agrémentés de quelques feuilles de shiso vert et feuilles de cannelier.
Le consommé y joue un rôle de liant déterminant, entrant en symbiose parfaite avec le cœur coulant desdits berlingots. Cette assiette, pure mais complexe, consiste à associer des saveurs inattendues pour atteindre une osmose gustative parfaite. L’eau de cuisson végétale, rivalise d’amertume avec le fromage coulant, tandis que les feuilles de cannelier apaisent l’ensemble.
La dégustation d’une telle assiette est une chance.
Pour accompagner ces coussinets dodus, un Räuschling en biodynamie (un cépage ancien proche du Riesling) du domaine Nadine & Cédric Besson-Strasser qui fera sensation autour de la table.
Sans temps mort ni sans fausse note, les plats s’enchaînent à commencer par la Saint-Jacques de Normandie qui viendra accompagnée de chou kale et arroche rouge tombés au beurre demi-sel, consommé de bardes infusé à l’aneth, livèche et bergamote. La bergamote est trop peu valorisée par les chefs et c’est un tort ! Ce produit d’exception a toutes les vertus et permet d’apporter un côté floral et frais, entre amertume, acidité et saveurs florales. Anne-Sophie Pic la travaille et décline avec brio dans cette assiette surprenante.
Un plat que l’on imagine peu consensuel par le choix du kale qui ne supporte pas la médiocrité de traitement : ici réduit et sublimés par du beurre demi-sel.
D’un calme olympien, le jeune sommelier propose des références fabuleuses à ses convives : les Saint-Jacques seront portées par un Chardonnay Grande Réserve de Lavaux, du domaine Cyril Séverin, un vin ample et vif, rehaussant à merveille les notes noisetées du crustacé.
Une belle balade en mer
Les Saint-Jacques saucées et débarrassée, ouvre la place aux écrevisses du lac, doucement rôties au beurre de crustacé et carottes déclinées. Le tout s’infuse d’un bouillon au bourgeon de sapin, géranium Rosat café Bourbon Pointu de la Réunion.
La cheffe ne rougit pas sublimer des produits « simples », on pense ici à la carotte, star incontestée de l’assiette d’écrevisses leur volant la vedette : déclinée en texture, saveurs différentes par les alliances de variétés…
Un très beau témoignage, qui pioche dans le meilleur de ce que les pays lointains ont à offrir tout en gardant les pieds bien dans la terre.
Toujours en mer, on embarque à bord du Saint-Pierre de petite pêche, cuit meunière, et accompagnée de courgettes et d’un bouillon à la pomme Granny Smith, chartreuse, tagette et shiso : une belle complexité aromatique construite autour de l’amertume, du piquant et du floral. Une démonstration de plus, de la beauté d’alliance entre l’iode et le végétal.
Nous serons ensuite gâtés d’un bar de ligne au caviar d’Osciètre, flottant sur une émulsion au champagne « comme l’aimait Père-Chef Jacques Pic en 1971 ». Une ode à une recette dépoussiérée des excès et adaptée aux bouches contemporaines, pour un plaisir absolu.
Une assiette déconcertante de simplicité, transpirant la féminité, un très bel hommage ne manquant pas d’identité.
Un vin blanc puissant et ample, grâce à l’alliance du Sauvignon et du Marsanne, élevé sur lie en barrique pour porter cette proposition : Torpâ 2013.
De l’autre côté de la table, un pigeonneau de la Drôme, seule trace viandarde du repas, cuît sur coffre Tsukudani à l’agastache citronnée et accompagné d’une pomme purée à l’algue wakamé et d’un jus corsé au poivre millésime.
Un vin rouge parfaitement choisi intervient cette fois sur l’assiette : un Humagne Rouge, cuvée Quintessence en 2015 du Domaine Benoit Dorsaz. La rondeur du cépage s’accorde fabuleusement avec les notes grasses du pigeonneau, un moment d’excellence.
Du fromage au dessert, la perfection au service de l’exceptionnel
Pour continuer : L’imposant plateau de fromage, sublime par son esthétique et grandiose par sa taille, propose un trajet de Valence, maison mère de la cheffe à la Suisse. On passe de mont et prairie, pour découvrir les terroirs fromagers des régions placées sur ce trajet : On tombera sous le charme du gruyère 36 mois d’affinage, un fromage que Jean-Pierre Coffe baptisera « le fromage caramel », aboutissant en fin de bouche à des notes torréfiées, sucrées, qu’il faut aller chercher mais desquelles on ne peut plus se passer après les avoir trouvées. L’Etivaz est lui aussi séduisant dans son genre, un fromage local affiné au vin blanc.
Venu avec un Fendant 2010 (Chasselas), cuvée Les Vignes dans les Ciel, du domaine de Beudon (l’un des pionnier de la biodynamie en Suisse), sa bouche fine mais franche, marqué par des notes d’eau de vie, tient tête avec brio à la palette de fromages déclinés dans nos assiettes. Un choix consensuel à tous ces fromages.
La transition du versant salé au versant sucré se fera par l’alliance de la figue (souvent trouvée sur les plateaux de fromages), du café et de la cardamome verte, toute en fraîcheur, légèreté pour clôturer la première partie d’un fabuleux déjeuner.
Sans faux-pas et toujours en gérant le rythme parfait, le service nous proposera le Mille-feuille blanc, à la crème légère de vanille de Tahiti, fine gelée au jasmin et émulsion au poivre Voatsiperifery.
La proposition d’une revisite d’un emblème de la pâtisserie française que l’on aurait su reconnaitre par son esthétique épurée. C’est en ouvrant le cube vanillé, qui appelle à la gourmandise que l’on retrouve les saveurs uniques de ce dessert signature.
Le jasmin envoute et accompagne les cuillerées, tantôt gourmandes, tantôt aériennes : le croquant du feuilletage qui se fond avec subtilité dans la crème vanillée onctueuse, et parfaitement équilibrée. On perçoit en fin de bouche des notes florales, chères à la cheffe, du jasmin, que l’on pourrait prendre pour de la fleur d’oranger… Mais qu’importe, la perfection est au rendez-vous de cette proposition sucrée, amenée à clôturer un brillantissime repas.
Sur le côté, une émulsion au poivre de Voatsiperifery de Madagascar, au parfum prononcé qui répond avec désinvolture à la gourmandise de la fleur de jasmin… Le jeu de textures est sans pareil, oscillant entre onctuosité par la crème de vanille, et la croustillance inégalable du feuilleté vertical.
On clôture enfin sur des mignardises toujours aussi esthétiques, raffinées et bien amenées.
Pour conclure :
Après une dizaine d’années passées à goûter toutes les cuisines du monde, déguster des merveilles sur certaines de ses meilleures tables, expérimenter toutes les nouvelles cuisines, notamment végétales, voici l’histoire de notre expérience gastronomique la plus raffinée, la plus élégante et, peut-être, la plus aboutie de notre parcours culinaire…
Cette table nous restera en mémoire, marquera nos mémoires gustatives, et accompagnera nos futures expériences gastronomiques.
Informations pratiques :
Beau Rivage Palace – Restaurant Anne-Sophie Pic
Adresse : Chemin de Beau-Rivage 21, 1006 Lausanne, Suisse
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